CSRD : les banques face aux changements de réglementation

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Dans le cadre du Pacte Vert, l’Union européenne s’est efforcée de renforcer le cadre réglementaire autour des enjeux de durabilité. Dans ce contexte, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), adoptée en 2022, marquait une étape décisive. Elle visait à accroître la transparence des entreprises sur leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), en imposant un reporting structuré, normalisé et auditable.

En remplaçant la directive NFRD, jugée trop peu contraignante, la CSRD devait ouvrir une nouvelle ère du reporting extra-financier. Mais entre ambitions réglementaires élevées et réalités opérationnelles complexes, la mise en œuvre s’est révélée plus délicate que prévu.

Le projet initial (2022)

La CSRD a été pensée pour combler les lacunes de la NFRD (Non-Financial Reporting Directive), en vigueur depuis 2014. Elle introduisait plusieurs améliorations majeures :

  • Une extension  du périmètre : alors que la NFRD concernait environ 11 700 entreprises en Europe, la CSRD devait s’appliquer à près de 50 000, incluant toutes les grandes entreprises (plus de 250 salariés ou 40 M€ de chiffre d'affaires) et, à terme, les PME cotées et les activités européennes des grands groupes hors UE.
  • L’utilisation de normes communes : la directive introduit les ESRS (European Sustainability Reporting Standards), élaborés par l’EFRAG, afin de garantir la comparabilité des données ESG publiées.
  • Le principe de double matérialité : obligation de rendre compte à la fois de l’impact des activités de l’entreprise sur l’environnement et de l’impact des enjeux ESG sur l’entreprise elle-même.
  • L’intégration du reporting dans le rapport de gestion, avec obligation de certification par un tiers indépendant.

La CSRD devait entrer en application progressivement :

  • Vague 1 / 2024 (reporting 2025) : entreprises déjà soumises à la NFRD.
  • Vague 2 / 2025 (reporting 2026) : grandes entreprises non-soumises à la NFRD.
  • Vague 3 / 2026 (reporting 2027) : PME cotées.
  • Vague 4 / 2028 (reporting 2029) : entreprises non-européennes réalisant plus de 150 M€ de CA dans l’UE.

Les difficultés de mise en œuvre

Malgré la clarté des objectifs initiaux, la mise en œuvre opérationnelle s’est heurtée à plusieurs obstacles. Au niveau réglementaire, les normes sectorielles en particulier ont connu des retards successifs.

Une grande partie des entreprises, notamment celles qui n’étaient pas soumises à la NFRD, ont pris conscience tardivement des implications de la CSRD. Pour ces structures, l’ampleur des informations à collecter et la technicité des normes ont suscité une forte inquiétude.

Plus généralement, les entreprises ont exprimé leur difficulté à interpréter certains concepts. La définition des indicateurs, l’évaluation de la double matérialité ou la remontée des données de la chaîne de valeur sont autant de défis concrets.

La collecte de données ESG nécessite des systèmes d’information adaptés et des ressources humaines qualifiées. Beaucoup d’entreprises, en particulier parmi les ETI et les PME cotées, ne disposent pas de ces moyens. Pour toutes, le coût global d’application de la directive est jugé élevé (audits, formations, outils digitaux, accompagnement par des cabinets spécialisés…)

Enfin, dans un contexte de ralentissement économique et de perte de compétitivité de l’Europe, souligné par les rapports Letta (avril 2024) et Draghi (octobre 2024), plusieurs États membres, dont l’Allemagne et la France, ont plaidé pour un assouplissement du calendrier ou une simplification des obligations.

Les ajustements de la directive omnibus (2024–2025)

Face à ces difficultés, la Commission Européenne a introduit des ajustements via une directive dite "omnibus", visant à assouplir certaines dispositions de la CSRD sans renier les objectifs à long terme.

Les vagues 2 et 3 sont reportées de 2 ans (la vague 1 est déjà mise en œuvre en 2025). Les seuils d’application sont relevés (effectifs dec1000 ETP au lieu de 250), ce qui diminue de 80% le nombre d’entreprises concernées. Par ailleurs, de nombreuses simplifications sont apportées :

  • Abandon des normes sectorielles.
  • Prise en compte de la chaîne de valeur limitée à un seul niveau.
  • Suppression de nombreux indicateurs (en se focalisant sur les données quantitatives), et augmentation du nombre d’indicateurs optionnels.

Un cadre simplifié, sans double matérialité, est cependant proposé pour les PME et les entreprises exclues de la CSRD pour publier un reporting sur la base du volontariat (VSME). Ce cadre devrait pouvoir se substituer aux multiples questionnaires RSE reçus par les PME de leurs clients et fournisseurs.

Conséquences de ces changements

La plupart des entreprises concernées ont salué un allègement bienvenu, tout en exprimant le besoin de stabilité réglementaire. Certaines regrettent cependant le changement des règles en cours de route, qui a entraîné des pertes d’efforts ou des investissements précipités.

Les investisseurs et les ONG redoutent une perte de transparence et un ralentissement de la dynamique ESG. Le principe de double matérialité est notamment vu comme menacé par l’assouplissement de son application.

Les banquiers, eux, voyaient plutôt d’un bon œil l’arrivée de la CSRD, avec la possibilité d’avoir plus de visibilité sur les performances ESG de leurs contreparties, et donc de mieux intégrer les critères de durabilité dans leurs analyses de crédit, dans leurs stress tests, dans leur politique d’investissement. Et de mieux répondre à leurs propres obligations, notamment celles issues de la taxonomie verte, du règlement SFDR, ou des exigences de la BCE en matière de gestion des risques climatiques.

Mais avec le report ou la suppression d’une grande partie des obligations de reporting des entreprises, les banques sont désormais tenues d’intégrer les risques climatiques dans leur gestion, sans avoir accès aux données fiables d’une grande partie de leurs clients. Comment évaluer le risque de transition d’un groupe industriel si ce groupe n’est pas encore tenu de publier ses émissions de gaz à effet de serre ? Ou si ce groupe décide que certains sujets ne sont pas "matériels", et donc ne figurent pas dans son reporting ?

Pistes de plan d’action

Pour s’adapter à cette situation paradoxale, les banques doivent faire preuve de souplesse et de pragmatisme :

  • Ne pas attendre. Les exigences de transparence vont s’accélérer quoi qu’il arrive. Il faut commencer dès maintenant à mettre en place des mécanismes de collecte, même approximatifs.
  • Travailler avec les données disponibles, en combinant des approximations sectorielles, des bases de données externes (plateformes de données clients,EcoVadis…), des outils internes de scoring qualitatif.
  • Préparer des systèmes évolutifs, capables de s’ajuster à la publication progressive des CSRD et VSME.
  • Renforcer la gouvernance ESG, en intégrant des experts durabilité aux comités de crédit, aux équipes risques, et aux directions juridiques.
  • Communiquer avec les clients : ne pas hésiter à expliquer les contraintes réglementaires aux PME ou aux grandes entreprises financées. Cela permet parfois d’obtenir, en avance de phase, des données clés.

Conclusion

La directive CSRD illustre le défi de la transition réglementaire vers un capitalisme plus responsable. Si ses ambitions restent intactes, sa mise en œuvre s’inscrit désormais dans une temporalité plus longue, marquée par une prise en compte accrue des réalités économiques et techniques.

Pascal Cottereau

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